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mardi 4 novembre 2014

Axelle Kabou, celle que l'intelligentsia africaine n'aime pas


Il y a vingt ans, l'essayiste camerounaise Axelle Kabou a créé une vaste polémique: l'Afrique refuse le développement. Les élites du continent ne lui ont jamais pardonné cet affront.
Qui n’a pas lu Axelle Kabou? Il est des textes qu’il vaut mieux avoir rencontrés. En 1991, était publié à Paris le livre d’une jeune femme, née en 1955, à Douala au Cameroun
Elle était jusque-là inconnue du microcosme de la vie intellectuelle et journalistique du continent africain dans la capitale française.
En guise de titre de l’ouvrage, Axelle Kabou posait une question terrible, qui tourmente depuis longtemps ceux qui, intellectuels, politiques, hommes de bonne volonté, se soucient encore de ce continent qu’on a qualifié de «maudit»: Et si l’Afrique refusait le développement?

En réalité, cette question renvoie à se demander pourquoi le continent le plus anciennement peuplé est de loin le plus faible, le plus dépendant. Mais, l'ouvrage d'Axelle Kabou est surtout celui d'une auteure qu'on n'attendait pas.
Personne ne l'attendait
Lorsque cette Camerounaise a été publiée, il y a maintenant vingt-et-un an, elle n'est ni une autorité universitaire ni une auteure européenne, pour oser ce type de questions avec un tel aplomb.
Car, que dit-elle dans son ouvrage? Elle soutient que l'Afrique ne s’est jamais vraiment sentie concernée par le concept du progrès. Axelle Kabou finit de noircir le tableau en martelant que l’effort en faveur du développement sur ce continent tient de la supercherie, de la prestidigitation!
Européenne, on l’aurait traitée de raciste; grande intellectuelle africaine, on l’aurait traitée de «vendue».
S’adressant à des gens habitués à dégainer leur cursus universitaire, l’auteure a eu le loisir de se faire snober (et parfois insulter) par l’establishment.
L'essayiste se demande pourquoi l'idéologie régnante sur le continent noir est celle du parti unique de l’immobilisme. Ce qui frappe en Afrique, affirme-t-elle, c’est l’inexistence dans tous les pays d’un projet de société clair, repérable et défendable par tous.
Elle dénonce avec véhémence la parade lamentable que les responsables adoptent chaque fois pour couvrir leurs errements: l’évitement, la surenchère verbale.
Le soubassement de l’interrogation de Kabou est celui du rôle que les Africains se donnent dans l’Histoire.
Elle a bousculé les certitudes
L'Afrique semble se comporter comme ces aînés sacrifiés dans certaines cultures anciennes au rôle de frayeur de chemin, et qui n’ont pas d’autre destin que celui de permettre aux suivants de mieux faire.
Il est vrai qu'Axelle Kabou n’aide pas à lire sa contribution. Elle n'hésite pas à dénoncer l’inculture des élites africaines, et assène que l’Africain ne voit pas plus loin que le bout de son ventre, même quand il est suffisamment aisé pour être en mesure de prendre des risques.
Lorsqu’on sait à quel point l’amour-propre, le nombrilisme, constituent chez les intellectuels africains l’alpha et l’oméga de l’analyse, on ne peut s’étonner que l’ouvrage les rebute d’emblée.
C’est donc à l’étranger qu’il a connu l’intérêt qu’il mérite. Pourtant, mis à part quelques insuffisances de forme, que de vérités cruciales versées au débat! A commencer par l’ambition tout à fait rare de l’entreprise: une réflexion sur les mécanismes idéologiques du processus par lequel l’Afrique refuse le développement.
On a pris l’habitude, dès qu’il s’agit de juger ce qui se passe sur ce continent, d’y jeter un coup d’œil fantaisiste, souvent prétentieux, de préférence dans un jargon inaudible, histoire de masquer le discours monomaniaque de la victimisation.
Kabou se décide de prendre l’explication de la situation sociale, économique et politique par le bout le plus difficile, celui de la culture. Convaincue qu’il n’y a pas de responsables ex nihilo, convaincue que le sous-développement de l’Afrique, quelle que soit l’époque considérée, n’est pas le produit du hasard.
Contre les murs de la mystification, elle affirme que quiconque a vécu et travaillé en Afrique sait que ce continent a, avant tout, des problèmes d’organisation, de motivation, de contrôle et de production qu’aucune idéologie ne résoudra et qui persisteront tant que les Africains se tiendront à l’écart de l’évolution du monde.
Axelle Kabou trouve dans ce qu’elle appelle «l’économie d’affection», la source centrale du sous-développement du continent noir. Elle conteste de façon décisive le mythe d’une solidarité supérieure des Africains entre-eux, et ne voit dans l’esprit communautaire qui règne en Afrique qu’une manière désastreuse de se procurer des rétributions psychologiques à peu de frais.
Bien sûr que des choses ont été dites et écrites, avant Kabou et aussi après; mais la tendance a souvent été, au mieux, celle d’un partage des responsabilités entre l’Afrique et les anciens auteurs de l’esclavage puis de la colonisation. Le pas a très rarement été franchi d’une dénonciation unilatérale de l’Afrique comme coupable de son sort.
Un plaidoyer plus qu'un pamphlet
L’originalité et la force de la méthode de cette auteure résident dans son choix de procéder à un examen microscopique de la causalité du sous-développement.
Là où les experts des organisations internationales et les chercheurs brandissent chiffres et statistiques, elle s’occupe de ce qui se passe dans la tête des Africains, parce qu’on ne prend jamais assez cela au sérieux.
Le pamphlet d'Axelle Kabou est un plaidoyer pour donner (enfin) un horizon à ces millions d’enfants d’Afrique que ce continent pousse littéralement au suicide.
Axelle Kabou a raison de rappeler que l’on ne peut pas éternellement se contenter d’examiner la logique de la domination du Nord sans jeter un coup d’œil sur la logique de la sujétion africaine qui lui répond.
Raoul Nkuitchou Nkouatchet



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