Ahmedou Ould Abdallah n’est plus à présenter dans le pays et même dans le monde. Ancien haut fonctionnaire international, il a décidé volontairement de mettre fin à sa carrière et de rentrer au pays pour fonder le Centre des stratégies pour la sécurité du Sahel Sahara (Centre4S). Depuis 2011, il organise, au moins une fois par an, une réunion internationale dédiée à la situation difficile dans la région sahélo-saharienne. Très sollicité par les organismes, grands pays, centres de recherches et associations, Ould Abdallah est souvent en déplacement. Actuellement, il se trouve depuis plus d’une semaine à Nouakchott. Biladi a profité de l’occasion pour l’interroger sur son expérience et sur la situation du pays que, par sagesse, il n’aime pas évoquer en public. Biladi : Notre région sahélo-saharienne est toujours traversée par des conflits et tensions qui ne baissent pas en dépit des moyens importants engagés par la communauté internationale. Le Mali peine à se stabiliser. En Algérie, les Jihadistes arrivent encore à frapper, le Niger demeure sous la menace… Est-ce qu’on ne doit pas trembler et avoir beaucoup peur en Mauritanie ?
Ahmedou Ould Abdallah (AOA) : Contrairement aux individus, les Etats responsables ne doivent pas craindre d’être concernés et même d’avoir peur quand ils sont confrontés à des situations difficiles. Il ne s’agit pas de faiblesse mais plutôt d’une attitude de courage et de responsabilité qui permet de rester en alerte pour parer à toute mauvaise surprise. C’est cela aussi la prévention, première mission du service public, pour assurer les conditions qui permettent aux nationaux, comme aux étrangers en territoire national, de vaquer à leurs affaires en toute liberté. Dans notre région les états sont exposés à de graves menaces internes et externes qui évoluent et se renforcent mutuellement.
Si, sur le plan intérieur, les forces armées et de sécurité se trouvent sur tous les plans à un niveau bien supérieur qu’il ya cinq ans, cela ne suffit pas à garantir la paix. Cet effort de renouveau doit être régulier et continu afin de moderniser périodiquement les équipements et d’entrainer et de motiver les hommes. Bien que nécessaire, cela coûte très cher. Suffit- il à lui seul pour mettre le pays à l’abri des menaces sécuritaires internes et régionales ? Sans doute pas. La sécurité est aussi un problème interne. En d’autres termes, pour une grande efficacité militaire, il faut s’assurer que les populations et les élites ne sont pas exposées à des causes de mécontentements durables. La paix intérieure renforce et motive davantage les forces de sécurité.
Biladi : On vous soupçonne d’être indifférent par rapport à ce qui se passe sur la scène politique nationale ?
AOA : Il est certain que je porte un regard plutôt sévère sur les jeux politiques qui ont porté tant de tors à notre pays en le privant d’une classe politique bien établie et d’une administration comparable à celle de nos voisins. Les positions politiques souvent fluctuantes qu’apprécient un certain nombre de mes compatriotes ont déstabilisé aussi bien la société que la classe politique elle-même, y compris les dirigeants. A cet égard, même des hommes d’affaires en sont atteints. Certains pensent ne pouvoir s’enrichir qu’en diabolisant leurs concurrents ou supposés tels ou en effrayant les investisseurs étrangers.
Ceci étant, je ne peux être indifférent à la situation de mon pays. D’abord parce que je n’en ai pas d’autre et ensuite je suis heureux d’en être un citoyen quand bien même cela n’est pas toujours facile. Il est exact que je ne suis pas engagé dans un camp politique ou dans un autre. Je réponds aux invitations des partis et organisations qui me demandent d’assister à certaines de leurs manifestations publiques. N’étant pas engagé au quotidien, j’ai ainsi la possibilité d’alerter, par voie de presse, les dirigeants et l’opinion publique quand je juge qu’un feu orange va virer au rouge.
Aujourd’hui, je suis allé plus loin en demandant à voir le chef de l’Etat. Il m’a donné suffisamment de temps pour lui exposer mes préoccupations face à la polarisation grandissante de la société, la montée des irrédentismes et particularismes et à la rétribalisation de notre pays. Cette situation s’aggrave aujourd’hui quand bien même elle date de bien avant l’accession au pouvoir de l’actuel président. Il y a la nécessité d’une véritable réconciliation nationale avec et entre tous les groupes nationaux y compris avec les éléments les plus actifs du pays et cela où qu’ils se trouvent. Après cette rencontre, j’ai eu des échanges avec un certains nombre de compatriotes et compte en rencontrer d’autres pour voir comment renverser la tendance actuelle de division voire de confrontation.
Biladi : Quels conseils avez-vous donné à vos interlocuteurs politiques ?
AOA : Je précise que par expérience, je n’offre pas de conseils mais plutôt mon point de vue sur une situation avant de suggérer des voies de sorties ou disons des solutions. J’estime qu’aujourd’hui les élites politiques, à commencer par ceux qui détiennent le pouvoir, doivent prendre au sérieux la montée des périls qu’exprime la manifestation croissante des identités et particularismes. Il est temps de chercher des solutions durables aux crises et non seulement des coupables.
Par expérience, je sais qu’il est très difficile pour les dirigeants de nos pays de dépasser une situation de crise. Leurs soi disant conseillers, par ignorance ou par intérêt matériel, les isolent et les orientent vers des voies sans issue. Cependant, les développements politiques de ces dernières années dans la région, doivent au contraire pousser au vrai courage, c‘est-à-dire à tendre la main à tous les mauritaniens de l’intérieur et de l’extérieur pour gérer ce pays. Quelle que soit la façon dont les mauritaniens veulent être reconnus et appelés, il y a de la place pour tous.
Propos recueillis par Moussa Ould Hamed
Source : Réseau Mauritanien d'Informations
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