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mercredi 14 mai 2014

Vincent Bisson, analyste français au cabinet de conseil ARAN


« L’opposition mauritanienne considère que les conditions ne sont pas réunies pour la transparence du scrutin, donc elle ne veut pas servir de caution démocratique à la réélection du président sortant Ould Abdel Aziz. […] On sent bien que l’opposition dans le pays n’est pas en prise avec la majorité de la population, qu’elle sait d’avance qu’elle va perdre ces élections, comme elle les a perdues toutes ces dernières années... »

On connaît désormais le casting de la prochaine présidentielle en Mauritanie. Elle se déroulera le 21 juin prochain. Sept candidats sont en lice, dont le président sortant Mohamed Ould Abdel Aziz. La grande majorité de l’opposition, radicale comme modérée, a décidé de boycotter ce scrutin. Cela va-t-il avoir un impact sur l’image du président ? Quelles sont les raisons de ce boycott. Pour en parler, Olivier Rogez reçoit l’analyste français Vincent Bisson du cabinet de conseil Arab analysis (ARAN).
RFI : Pourquoi l’opposition mauritanienne dans sa grande majorité a-t-elle décidé de boycotter cette élection présidentielle du 21 juin ?
Vincent Bisson : L’opposition mauritanienne considère que les conditions ne sont pas réunies pour la transparence du scrutin. Donc elle ne veut pas servir de caution démocratique à la réélection du président Mohamed Ould Abdel Aziz.

Parmi ces revendications, l’opposition réclamait un report de la date du scrutin. Pour quelles raisons ?
Les raisons en réalité ne sont guère valables. On sent bien que l’opposition dans le pays n’est pas en prise avec la majorité de la population, qu’elle sait d’avance qu’elle va perdre ces élections comme elle les a perdues toutes ces dernières années. Et elle essaie donc de trouver un certain nombre d’arguments qui lui permettraient de justifier une non-participation à ce scrutin. Donc il faut bien avoir cela en tête lorsque l’on parle de la Mauritanie. On est face à une population qui, dans sa majorité, pas dans sa totalité, ne vote pas pour un parti ou pour un programme. On vote d’abord pour quelqu’un qui peut vous apporter la sécurité et de quoi manger. A partir de là, aujourd’hui le président Ould Abdel Aziz est en position de force.
Mais quand l’opposition dit que les garanties de transparence ne sont pas réunies, notamment à cause d’une Commission électorale nationale qui n’est pas aussi indépendante que le clame le pouvoir, n’a-t-elle pas quelque part raison ?
Non je ne le crois pas. Sous la présidence de Ould Abdel Aziz, mais également avant lui, toute une série de mesures ont été prises qui assurent de véritables garanties d’un vote que je ne dirais pas totalement transparent -il peut y avoir des fraudes locales-, mais en tout cas qui ne conduiront pas à une fraude massive. La Céni (la Commission électorale nationale indépendante), qui a fait l’objet d’énormes critiques, notamment lors des municipales et des législatives de fin 2013, a quand même fait l’objet de discussions communes. L’un des opposants, Messaoud Ould Boulkheir, avait cautionné le choix du président de la Céni. Cette Céni, malgré tous ses défauts, a quand même fait un travail que l’on peut dire honnête. Donc on ne peut pas faire un procès à charge du régime et prétendre que les élections ne seront pas transparentes. Ould Abdel Aziz n’a pas besoin de la fraude pour gagner.
Est-ce que les réticences de l’opposition ne cachent pas aussi le fait qu’elle a du mal cette opposition à changer de génération et à se trouver un nouveau chef de file incontesté ?
Oui, c’est évident. Cette opposition est extrêmement divisée. On voit bien qu’il y a en réalité une vraie concurrence de leadership à l’intérieur de cette opposition. On l’a vu lorsque les islamistes lors des dernières élections ont quitté l’opposition pour participer aux élections municipales et législatives.
Comment analyser le fait que les islamistes de Jemil Ould Mansour, le leader du parti Tawassoul, ont accepté de participer aux dernières élections et boycottent cette présidentielle ?
Les conditions ne sont plus tout à fait les mêmes. D’abord on est dans le cadre d’un scrutin présidentiel. Autant aux municipales et aux législatives, le parti islamiste savait qu’il pourrait avoir des élus, autant dans le cadre d’une présidentielle, les enjeux ne sont pas les mêmes. Jemil Ould Mansour sait qu’il ne sera pas le président et il peut même craindre d’arriver en troisième ou en quatrième position.
Et perdre son aura ?
Oui, bien sûr derrière des candidats comme Biram Ould Dah Ould Abeid qui défend la cause anti-esclavage. Il a été primé par les droits de l’homme de l’ONU [en décembre 2013, président de l'Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA- Mauritanie)]. Ce serait un désaveu terrible pour Tawassoul d’être en troisième ou quatrième position.
Mohamed Ould Abdel Aziz se présente face à des candidats qui, sans leur faire injure, ne devraient pas lui faire beaucoup d’ombre. Est-ce que finalement le scénario qui se dessine, c’est-à-dire un président mal élu, n’est pas un piège politique pour lui ?
L’essentiel c’est d’être élu pour le président. Bien sûr, sur la scène internationale il peut y avoir quelques conséquences, quelques mots qui seront critiques vis-à-vis du régime. Enfin, rien de sérieux. Le président Mohamed Ould Abdel Aziz aujourd’hui est un garant pour les Occidentaux en termes de politique sécuritaire. Il ne sera pas lâché. Par ailleurs, un second point me paraît très important, c’est que le contexte actuel d’insécurité et de menaces terroristes dans la bande sahélienne lui procure une légitimité qui lui a permis de traverser sans grande difficulté la vague des printemps arabes. Cette légitimité, il l’a toujours. Il ne faut pas oublier que c’est un général qui a fait un coup d’Etat en 2008 et qui a fait avaliser son élection en 2009.
Une légitimité à la fois sur le plan international et sur le plan interne ?
Exactement. Les victoires de Mohamed Ould Abdel Aziz sur le plan sécuritaire sont indéniables même si on sait très bien qu’on peut avoir demain un nouvel incident, un nouvel attentat. Les derniers enlèvements ont eu lieu en décembre 2009 et depuis le terrorisme a été contenu ou rejeté en périphérie du pays.
Néanmoins après son premier mandat qui était quand même marqué par un bras de fer récurrent avec l’opposition, est-ce qu’il ne prend pas le risque de repartir sur une nouvelle période de contestations ?
Oui, il y aura de nouvelles contestations, c’est sûr. Tous les débats que l’on a vus ressurgir ces derniers mois, c’est-à-dire autour de la question des rapatriés, de l’esclavage, ces débats sont positifs. Effectivement ce sont des dossiers qui sont lourds, qu’il faut traiter parce qu’il y a une situation effectivement critique dans le pays sur ces questions-là. De là à remettre en cause la légitimité su président ? Je n'y crois pas.
Source : rfi

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