Edido

lundi 11 janvier 2016

Union du Maghreb arabe La BMICE et le développement du commerce maghrébin

C’est donc fait ! Le 21 décembre 2015, à Tunis, est née une Banque maghrébine d’investissement et du commerce extérieur(BMICE), dont l’accord-cadre qui en a décidé la création avait été signé en 1991 et les statuts approuvés en 2006. Mieux vaut tard que jamais !

A ce stade, seules quelques orientations ont été définies. La BMICE aura d’abord pour objet de financer des projets d’infrastructures (télécom, électricité, transport) dans les pays de l’UMA. La liaison ferroviaire Trans-Maghreb et l’autoroute maghrébine sont notamment citées. Rien n’est annoncé en revanche concernant le commerce extérieur, ce qui parait symptomatique.



Dès lors qu’une solution de financement multilatérale prend forme, en effet, les grands projets d’investissement sont naturellement privilégiés, plutôt que les outils des échanges commerciaux. On peut facilement le comprendre : les grands projets sont les plus visibles et les plus intéressants.

Souvent prestigieux, ce sont eux qui concernent le plus naturellement les responsables politiques et qui légitiment l’institution qui les porte. Pourtant, dans une très grande majorité de cas, les retours de tels investissements sont décevants – quand ils ne traduisent pas une pure et simple gabegie.

C’est qu’on a toujours tendance à précipiter de grands investissements, de grands travaux, comme s’ils étaient la clé du développement économique. De manière générale, cependant, l’investissement suit les flux d’affaires plutôt que le contraire. Dès son démarrage, la question la plus sensible posée aux premiers responsables de la BMICE pourrait donc bien être : comment développer les échanges intra-maghrébins ?
On sait que le très faible développement de ces échanges est frappant – pire même, il est anormal. Dans le monde, toutes les autres zones commerciales font largement mieux. Madagascar parvient ainsi à réaliser 15% de ses échanges avec les îles que réunit la Commission de l’Océan indien (ComoresMaurice,RéunionSeychelles) quand, entre les pays de l’UMA, le commerce interrégional n’a jamais dépassé 3,4%.

Pourtant, si ces échanges sont les plus faibles du monde, rien ne le justifie économiquement. Si l’on compare les structures sectorielles, les potentiels d’intégration entre les différents États paraissent même assez élevés.

Regardons donc les choses d’un peu plus près. Entre les pays de l’UMA, la plupart des échanges interviennent en monnaies non domestiques et beaucoup de banques manquent de moyens, tant financiers que d’information, pour accompagner les entreprises exportatrices sur des marchés et des secteurs d’activité qu’elles connaissent mal.

Ainsi, beaucoup d’entreprises rencontreront-elles des difficultés à faire escompter leurs créances étrangères ou à obtenir un préfinancement de leurs exportations. Tandis que pour la confirmation de crédits documentaires, les banques locales devront parfois avoir recours à leurs consœurs européennes pour des opérations concernant un pays voisin. 

Quant aux importations, l’ouverture d’une lettre de crédit par les banques fait souvent l’objet d’une prise de garantie (généralement sous forme d’un cash collatéral) pénalisante, pour ne pas dire prohibitive, pour beaucoup d’entreprises, surtout les PME.
La plupart des pays de l’UMA distribuent à leurs entreprises nationales des aides à l’exportation et à l’implantation à l’étranger. Ces garanties demeurent néanmoins limitées, tant en nombre qu’en finalités de financement couvertes.

Les garanties publiques, en effet, sont en général consacrées quasi exclusivement à la couverture partielle du non-paiement des exportations et sont loin de garantir l’ensemble des étapes du parcours des entrepreneurs à l’international, à la différence des systèmes d’aides publiques comme la Coface 

française qui couvrent la prospection de marchés, le préfinancement des exportations, le risque de change lié à un contrat d’exportation, l’exécution du contrat et son paiement, la garantie du crédit fournisseur, celle des biens immatériels, celle de la mobilisation des créances nées sur l’étranger, celle des crédits documentaires, ainsi enfin que la protection du risque politique susceptible de frapper les investissements.

Ainsi, la Coface comme le JSBCL japonais ont démontré que des mécanismes de garantie allant des premières démarches de prospection – souvent«coûteuses» pour des PME peu expérimentées – jusqu’à l’implantation effective contribuaient à l’essor des échanges et des investissements internationaux, particulièrement dans des segments de marchés perçus comme risqués.

Au total, deux constats s’imposent : 1. Les flux d’échanges ne se dénouent pas facilement entre les banques des pays de l’UMA. 2. Les garanties d’exportations et les facilités d’importation offertes aux entreprises locales sont trop restreintes.

Ce sont là autant de freins à tout développement des échanges intrazone et, en regard, il conviendrait donc de renforcer la gamme des garanties offertes aux exportateurs en amont (prospection) et en aval (investissement). Non pas du tout en mettant en demeure les organismes spécialisés de garantie export de distribuer plus de garanties, mais en trouvant les outils pour renforcer leurs moyens d’intervention.

Il serait notamment possible d’améliorer ces différents points sans modifier les schémas de financement existants, mais tout simplement en développant la visibilité et le suivi des flux financiers accompagnant les échanges. 

La BMICE pourrait dès lors, pour les banques qui le souhaitent, refinancer les crédits consentis par celles-ci ou réescompter les effets commerciaux dont disposent les exportateurs, en liaison avec les institutions nationales spécialisées, comme la Cotunace ou la Smaex.

Il convient de souligner qu’une telle solution ne s’assimilerait nullement à une politique de bonification de crédits.

Les moyens financiers qu’elle obligerait la BMICE à engager seraient donc restreints : pour l’essentiel limités au fait qu’agissant en garant de dernier ressort, l’institution supporterait la non-réalisation éventuelle des flux couverts. Toutefois, la modestie actuelle de ces flux rendrait cette charge très supportable en phase de démarrage, d’autant que seuls certains secteurs pourraient être concernés.

Tandis que l’institution devrait rapidement devenir son propre assureur, sur la base de ses propres résultats, ses interventions ayant un prix, qui de toute manière serait considérablement moins onéreux que les conditions actuelles pour beaucoup d’entreprises.

De plus, il conviendrait d’envisager la constitution de fonds de garantie des exportations et des investissements faisant appel aux bailleurs de fonds internationaux dans le cadre de partenariats avancés. Sur le socle d’une telle solution financière, bien d’autres initiatives pourraient être lancées, comme des bourses d’affaires sectorielles favorisant l’apparition de filières industrielles régionales ou des solutions de commerce dématérialisées, à l’instar de celles réalisées par l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation).
Au fond, un premier objectif devrait être retenu pour la BMICE : agir de telle sorte qu’il soit au moins aussi facile pour les pays de l’UMA de commercer ensemble qu’avec d’autres pays, parfois très lointains. Peut-on envisager la moindre intégration régionale si cette première condition n’est pas remplie ? Elle ne l’est pas aujourd’hui ! 
Guillaume ALMERAS
Consultant international pour les problématiques financières, fondateur du site bancaire spécialisé Score Advisor.com, il intervient sur des projets d’envergure dans les pays du Maghreb depuis 1998, en liaison, notamment avec de grands acteurs multilatéraux.3


Le Matin 

Sources : Essahra 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire