Il est logique que quand la démocratie éternue sur le vieux Continent elle se grippe ailleurs car de la santé de la mère dépend celle de l'embryon.Sidi Hamada
Les mois qui ont précédé ont vu l’étau du terrorisme intellectuel se resserrer autour des auteurs et des ouvrages dissidents, et tout laisse à croire que nous entrons dans une période difficile pour la liberté d’expression et la pluralité des idées. Livres de Kontre Kulture censurés par décision de justice, Naulleau vilipendé pour son dialogue avec Soral, Charles Robin stigmatisé par son éditeur pour ses « mauvaises fréquentations », quenelles criminalisées à tour de bras (c’est le cas de le dire !), violentes campagnes de dénigrement du Canard enchaîné et de Charlie Hebdo… Les chasseurs de sorcières n’en finissent pas de crier au loup ! Le problème, c’est que leur propagande a de moins en moins d’effet sur l’opinion et que nous sommes de plus en plus nombreux…
Le 13 décembre dernier restera dans l’histoire des lettres françaises comme un jour à marquer d’une pierre noire. C’est en effet la date à laquelle est entrée en vigueur quelque chose que l’on espérait ne plus revoir en démocratie, une mesure de censure à l’encontre de cinq ouvrages publiés par les éditions Kontre Kulture. Cinq auteurs d’hier et d’aujourd’hui mis soudainement au pilori à l’instigation d’un lobby qu’il faut bien qualifier de liberticide : Léon Bloy, Édouard Drumont, Henry Ford, Douglas Reed, Paul-Éric Blanrue.
La question qui m’intéresse ici n’est pas de savoir ce qu’il convient de penser de ces auteurs et de ces œuvres – je suis d’ailleurs horripilé par cette expression « il convient de penser », très à la mode en ces temps de pudibonderie intellectuelle mais qui sent trop le catéchisme à mon goût ! La question qui m’intéresse, disais-je, n’est pas celle des idées mais celle des principes, ce qui est plus fondamental. Les principes transcendent les idées comme la liberté d’opinion transcende les opinions et doit valoir pour toutes, indépendamment du jugement subjectif que chacun peut y porter. Saisir des livres ou les brûler – car cela revient, dans les effets, rigoureusement au même – c’est franchir la ligne rouge qui sépare le règne d’un relatif pluralisme du règne de l’arbitraire pur et dur. Mais nous y sommes déjà depuis un bon moment dans ce règne-là, me direz-vous ! Eh bien il est plus que jamais temps de renverser la vapeur et de reconquérir ce qui n’a pas été acquis durablement. Répétons-le en lettres capitales : UN PAYS CIVILISÉ NE BRÛLE PAS LES LIVRES ! Ce principe n’est pas négociable, en aucun cas.
Ceux qui ont fait pression sur les tribunaux pour obtenir cette interdiction, exceptionnelle dans l’histoire littéraire française contemporaine, auraient été mieux inspirés d’ouvrir le débat et de considérer ces livres qui leur déplaisent comme une occasion d’affronter leurs contradicteurs, loyalement et selon les usages en vigueur dans le monde des penseurs ouverts au dialogue. Mais ce monde, ils n’en font plus partie depuis longtemps. Le journaliste Camille Desmoulins, alors que sa gazette, Le Vieux Cordelier, avait été saisie durant la Révolution française, s’était exclamé à l’adresse de ses censeurs : « Brûler n’est pas répondre ! » Deux siècles après, il n’aurait sans douté trouvé pour toute réponse que la menace adressée par Maître Thierry Lévy à Dieudonné : « Après l’injure il y a la loi, et après la loi il y a les coups [1]. » Ou alors celle du ministre Moscovici, faisant les gros yeux à Éric Naulleau (coupable de défendre les vertus du dialogue) et déclarant, sentencieux : « On ne dialogue pas impunément [2]. » Ou pire : il aurait été stigmatisé nommément par le ministre Valls en plein meeting ! Cela s’est vu… On ne dialogue pas impunément ! La franchise des puissants est parfois désarmante et toute dictature rêverait de graver cette règle dans le marbre de sa constitution !
Naulleau pris entre deux feux
Naulleau, justement, parlons-en. J’ai toujours eu de la sympathie pour ce type, passionné de littérature, lecteur exigeant, chroniqueur sans concession, pataud et bonnard comme un ours dans une chambre d’enfant mais capable de se faire grizzli une fois mis en présence d’un sous-romancier germano-pratin, représentant cet insipide mélange de « tout-à-l’égout et de tout-à-l’égo [3] » auquel il est fondamentalement allergique. Bien sûr, le gaillard connaît les limites à ne pas franchir, il sait jusqu’où ne pas aller trop loin, mais après tout, un modéré qui sait durer et qui n’hésite pas à placer une pique de temps en temps là où il faut est-il vraiment moins efficace qu’un kamikaze qui ne tire qu’une fois ? « Quand tu deviens père, la défenestration cesse d’être une option [4] » se défend-il. Pourtant, cette fois, il a peut-être tiré un peu fort… En publiant Dialogues désaccordés, échange de courriers avec Alain Soral sur divers sujets (l’affaire DSK, le scandale Cahuzac, la guerre en Syrie, le chavisme, le mouvement Cinq Étoiles, les Indignés et bien d’autres), il s’est peut-être mis en fâcheuse posture. Soral l’avait pourtant prévenu : « Tu as beaucoup à perdre à me suivre sur ce terrain-là [5] ! » Et il y est allé tout de même, le bougre !
Une partie de leur débat, qui reste (relativement) courtois mais où on sent l’agressivité monter crescendo, porte justement sur la question du risque lié à l’engagement. Naulleau évite de répondre à certaines questions ; Soral suspend lui aussi quelquefois sa réflexion en rappelant qu’une guillotine – la loi Gayssot – est tenue au-dessus de leurs têtes en permanence comme une épée de Damoclès. Ceux qui leur reprochent cette prudence feraient bien de s’examiner eux-mêmes et de voir quels risques concrets eux ont pris ces dernières années ! « Chez moi, c’est la connaissance qui guide la morale, pas la pseudo-morale qui interdit la connaissance [6] » explique le président d’Égalité & Réconciliation. Des deux écrivains, c’est incontestablement lui qui mène l’existence la plus dangereuse – il en explique d’ailleurs lui-même la raison : il ne se contente pas de dénoncer des mécanismes à l’œuvre mais il met des noms dessus et identifie les individus qui les manœuvrent ou les incarnent – mais Naulleau n’en reste pas moins à mes yeux un homme respectable et une personne de goût, ce qui ne gâche rien.
Les journaleux qui le vouent aux gémonies parce qu’il a osé débattre librement avec un outsider sont bien évidemment de tristes sbires (je pense notamment à un papier dégueulasse de Christophe Nobili dans Le Canard Enchaîné du 23 octobre dernier ou à un autre de Christophe Conte dans les Inrocks du 18 novembre [7]), mais les puristes « dissidents » qui commentent l’actualité bien au chaud derrière leur écran et qui reprochent au critique littéralo-footballistique de faire dans la demi-mesure sont parfois tout aussi désolants. Un Naulleau qui dérape (déraper, encore un mot de la novlangue !), c’est un Naulleau qu’on ne verra plus dans les médias. Or, il nous faudrait non pas moins de Naulleau à la télévision mais davantage ! Qu’est-ce que vous préféreriez ? Qu’il laisse sa place à une Sophia Aram ou à un Aymeric Caron ? Ah, non merci !
Les Veilleurs et les Antigones dans le collimateur du Cafard
Puisque je viens de faire référence au Canard enchaîné, arrêtons-nous-y quelques instants, le temps d’ouvrir le numéro spécial qu’il a consacré en octobre à ce qu’il appelle « les nouveaux réacs ». Sous cette étiquette improbable, on trouve rangés côte à côte, ici un militant révolutionnaire, ici un catho intégriste, ici un politicard sarkozyste, ici un rappeur musulman, ici un écolo radical… Le panorama est large, « de Frigide Bardot (sic !) à François Fillon, de Dieudonné à Batskin » nous prévient Erik Emptaz dès l’édito (p. 5). Ça fait tout de même un peu foutraque comme collection de papillons ! Mais le célèbre gallinacé doit savoir ce qu’il fait en dressant ses listes noires puisqu’il s’appuie, au fil des pages, sur des autorités intellectuelles aussi incontestables que Clémentine Autain (féministe obsessionnelle de la gauche bourgeoise), Éric Fassin (« américanologue » et défenseur de la théorie du genre [8]) ou Vincent Cespedes (« philosophe » habitué des plateaux télé et tenant lui aussi de l’indifférenciation des sexes). Ah, avec des experts de ce calibre, les lecteurs du Cafard sont entre de bonnes mains ! Après s’être alarmé du « rajeunissement du mouvement [de la manif pour tous] et [de] sa déringardisation » (p. 5), ledit Cafard s’inquiète de trouver des gens qu’il aimerait ne pas voir dans ces manifs : des socialistes (la Gauche pour le Mariage Républicain), des musulmans (les Fils de France) et même… des homosexuels (l’association Plus Gay Sans Mariage) ! Si les gens se mettent à se mélanger et à sortir de leurs cases pour aller s’encanailler dans celles des autres, ça ne va plus être possible !
Au tour des Veilleurs ensuite de subir les coin-coin du gallinacé. Celui-ci ricane en nous traçant le portrait de ces jeunes gens « avec leurs petites bougies et leurs sages lectures – Péguy, Dostoïevski » (p. 16) Sages lectures ? Disons que c’est autre chose que la prose de Fassin comme livre de chevet… Mais on comprend assez vite qu’au comité de rédaction du Cafard on n’aime pas trop les jeunes qui lisent et qui se cultivent, qu’on préférerait qu’ils se contentent des œuvres complètes de Cabu, c’est moins tendancieux et moins préjudiciable à l’ordre social. Raison pour laquelle plusieurs pages sont consacrées à pointer du doigt ces infâmes nationaux-républicains qui critiquent l’école contemporaine et voudraient la réformer pour faire monter le niveau et viser l’excellence ! Il ne manquerait plus qu’on leur apprenne à écrire, tiens, tant qu’on y est ! Que des auteurs aussi brillants et aussi indépendants d’esprit que Péguy ou Dostoïevski se fassent traiter de « sages » (c’est-à-dire de gentillets) par les porte-voix du conformisme le plus chloroformé, voilà bien ce qu’on peut appeler un cas d’inversion pathologique !
L’inversion, on l’a vu, le Cafard est plutôt pour, surtout sous sa forme légalisée du mariage, de même qu’il est pour le néo-féminisme de ces Ukrainiennes dépoitraillées qui se font appeler Femen. En toute logique, il est donc vivement opposé à ceux – et surtout à celles – qui s’opposent à ces aboyeuses téléguidées. Un papier sur les Antigones donc, « ces jeunes filles au teint diaphane » qui, rappelons-le quelques lignes plus loin, ont « le teint clair » (p. 20). Étrange, cette insistance sur la peau blanche, non ? La leucodermie serait-elle devenue une tare rédhibitoire ? Les Femen ont bien le droit d’être blondes, elles… Daffy Duck appelle à sa rescousse Mme Aude Thuin, présidente du Women’s Forum, qui n’aime pas qu’on marche sur ses plates-bandes privatisées et qui nous dit tout net ce qu’elle pense des Antigones : « Ces minettes font joujou avec un sujet profond. C’est grave car elles portent des valeurs perverses qui font du tort à celles qui travaillent vraiment pour l’émancipation. » (p. 20) La défense de la mixité sexuelle, de la famille et de l’écologie, des valeurs perverses ? Je n’ai pas eu l’impression de me retrouver face une succube cet été lorsque j’ai rencontré Iseul Turan, la très avenante pasionaria des Antigones [9], mais bien au contraire face à une jeune femme sérieuse et déterminée à ne pas laisser n’importe quelle allumée castratrice parler au nom de toute une moitié de l’humanité. Il faut croire que la vieille rombière du féminisme institutionnalisé qu’est allé repêcher le drôle d’oiseau n’a aucune envie que des jeunettes – des « minettes » comme elle dit – ne viennent se mêler des affaires de condition féminine, affaires qu’il convient de laisser aux personnes responsables, c’est-à-dire aux militantes ménopausées et aux « réfugiées » de Kiev qui font l’honneur des timbres de la République.
De Ménard aux écolos : tous réacs !
La galerie de portraits continue. Lorant Deutsch ? Un historien « mal inspiré » (p. 93) par sa passion pour Céline ; d’ailleurs on pense pis que pendre de ses recherches, « d’où s’exhale un délicat parfum, mélange de Vichy et de Versailles » (p. 92). Dieudonné ? « L’homme remplit les salles sans faillir. On ne rit plus. » (p. 55) Ah si, justement, on rit beaucoup et on est d’ailleurs de plus en plus nombreux à rigoler ! Soral ? Il évolue « au sein de la mouvance rouge-brun prônant l’alliance objective de tous les extrêmes et de tous les souverainistes » (p. 58) et a commis ce fameux « “Comprendre l’Empire”, gloubi-boulga à prétention géopolitique » (p. 55). Élisabeth Lévy ? Une « virago » (p. 82) – attention, on frôle la misogynie ! – « ni facho ni vraiment de droite » (p. 83) mais très suspecte tout de même car « Charles Maurras parlait déjà du “pays réel” » (p. 83) et l’effrontée emploie aussi cette expression ! Le Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE) ? un « think tank de droite tendance extrême » (p. 79). Le soutien de Jean-Pierre Chevènement à Éric Zemmour lors de son procès ? « Solidarité de souverainistes » (p. 84) – ce qui est censé faire office de réquisitoire, inutile d’en dire davantage. Le rap ? « Un discours fleurant bon le pétainisme » (p. 94) et qui ne fait rien qu’à critiquer les homos et les bourgeois. D’ailleurs, note finement le Cafard, « entre le rap et Civitas, il n’y a parfois qu’un riff » (p. 95). Un riff ou un RIF [10] ? Ça sent le lapsus. Quoi qu’il en soit, la volaille enchaînée aurait mieux fait de s’informer un peu sur le sujet, par exemple en lisant mon papier à ce propos dans le n°61 de Rébellion, ça lui aurait évité de cancaner autant d’inepties [11]. Robert Ménard ? Un « toutou en laisse » (p. 80) et un « crypto-mariniste » (p. 86) dont le goût pour la liberté d’expression est franchement problématique : « Dommage que cette légitime volonté de promouvoir le débat ne s’exprime pas à l’égard des défenseurs du mariage pour tous et des Femen. Sûrement un manque d’occasions » (p. 81). C’est vrai que les défenseurs du mariage pour tous et les Femen, personne ne leur donne la parole dans les médias et les pauvres sont tellement muselés qu’ils ne trouvent aucune tribune nulle part… Hum.
Mais l’article le plus farfelu, le plus totalement déconnecté de toute analyse un tant soit peu consistante, est celui que le cancaneur libéré consacre à l’écologie. Pour faire bref, la décroissance, l’antiproductivisme, et même le slow tech, c’est potentiellement réac, donc à éviter. « Va-t-on finir par indexer la décroissance sur la croissance des fachos ? » (p. 79) se demande le palmipède, atterré par « l’embarrassante concupiscence de l’extrême droite » (p. 79) à l’égard de ces nouvelles idées à la mode. C’est bien sûr Alain de Benoist qui est dans le viseur, ce « maître dans l’art de brouiller les pistes » (p. 79), auteur d’un livre qui a marqué les esprits, Demain la décroissance ? (E-dite, 2007). Commentant avec ce qui semble être un ersatz d’ironie le sous-titre de l’ouvrage en question – Penser l’écologie jusqu’au bout – le folliculaire ajoute, roublard : « Au bout de l’échiquier politique, surtout ! » (p. 79) Mouais. Le plus drôle, c’est qu’il a voulu savoir ce qu’en pensait Serge Latouche, l’auteur le plus écouté en matière de décroissance (à gauche y compris), et que celui-ci a répondu simplement : « Dois-je interdire à Alain de Benoist de se revendiquer de la décroissance sous prétexte qu’il est classé à droite ? » (p. 79) On ne saurait mieux dire. Mais notre inquisiteur plumé ne se satisfait pas de cette réponse et bougonne : « De la part d’un pilier de la pensée décroissante en France, voilà qui n’aide pas à la clarté. » (p. 79) Éternelle obsession de mettre les gens dans des cases…
Bref, la France va mal telle que vue par les yeux du Cafard, et le problème de la « réaction » (ou de tout ce qu’on voudra bien mettre sous cette étiquette), c’est que malgré les censures, les diabolisations et les mises à l’index, elle marche du tonnerre ! Il serait temps de penser à saisir le ministère de la Défense, « où l’on s’inquiète de cette “parole libérée qui n’annonce jamais rien de bon” » (p. 34) Ben tiens… Sans parler du succès bien connu des spectacles de Dieudonné et de l’épidémie de quenelles qui frappe une grande partie de la francophonie, le gallinacé remarque (et déplore) que « la littérature réac a le vent (mauvais) en poupe » (p.91). Encore un coup des mânes de Péguy et Dostoïevski ? « Face à ce mouvement de fond réactionnaire, les éditeurs sont tiraillés. D’un côté il y a les chiffres de vente. De l’autre les idées et discours que, dans leur grande majorité, ils apprécient peu » (p.91). On est bien d’accord : se préoccuper des attentes du public, pour un éditeur, ne peut que révéler chez lui de bas instincts motivés par le lucre et des visées sournoisement commerciales, et chacun sait qu’un éditeur intègre, dégagé des contingences matérielles et délivré de la tyrannie de l’opinion, se fait fort d’éditer des auteurs que personne ne lit, surtout pas le commun des mortels ! J’en parlais justement il y a quelques semaines avec un de ces démagogues sans scrupule, un des collaborateurs des éditions Kontre Kulture, qui me racontait, avec un sourire décomplexé (mais ces gens ont-ils une âme ?), qu’entre le moment où la justice avait prononcé la censure des cinq ouvrages évoqués plus haut et celui où le verdict définitif devait tomber (l’éditeur ayant fait appel), la maison recevait jusqu’à 650 commandes de livres par jour ! Merde, quand même ! (comme dirait un ministre « socialiste »)
Les phobes sont lâchés
Une qui se fait souvent asticoter par les chasseurs d’hérétiques et qui y trouve un certain plaisir (ce que je peux comprendre), c’est Élisabeth Lévy [12], la « virago » citée plus haut, accessoirement rédactrice-en-chef de la revue Causeur dans laquelle on trouve pas mal de plumes intéressantes et plutôt détonantes par rapport à ce qui se fait ailleurs (pas autant qu’ici bien sûr mais c’est déjà pas mal). Dans un livre paru l’an passé, La Gauche contre le Réel, elle revient sur quelques campagnes de diabolisation dont elle et plusieurs autres (notamment Éric Zemmour et Ivan Rioufol) ont été victimes et prend le parti de s’en amuser. Jouant avec les formules flamboyantes trouvées en son temps par Philippe Muray – « délit de réel », « le peuple ne passera pas », « les phobes sont lâchés », etc. – elle s’exclame : « À choisir, je préfère être embastillée avec les accusés que reine de Paris avec les juges [13] ! » Car de la cabale médiatique on peut passer, de plus en plus souvent hélas, aux persécutions judiciaires. « Les pit-bulls sont soulagés. Désormais, toute réalité déplaisante pourra être écartée au nom des bonnes manières républicaines. Le Tribunal de la pensée pourra ou non, selon les cas, s’adjoindre les services du tribunal tout court [14]. » Il s’agit donc de parer les coups et de se défendre contre les nouveaux inquisiteurs et « leur esprit de sérieux qui n’a d’égal que le peu de sérieux des productions de leur esprit » [15].
Et puisqu’on parle d’Élisabeth Lévy, on peut dire un mot de son grand ami Alain Finkielkraut, un auteur qui est tout de même plus proche de la figure du notable que de celle du révolutionnaire. Et pourtant, aux yeux de certains « vigilants », même le bon bourgeois Finkielkraut est trop canaille, même lui va trop loin, dépasse les bornes, dérape dangereusement ! Son dernier livre L’Identité malheureuse (Stock, 2013) est plutôt mal passé auprès des Bisounours aux dents longues (encore de grands esprits qui préfèrent la lecture de Fassin à celle de Péguy sans doute !) et suivant la méthode bien connue des chasseurs d’hérétiques, ils ont préféré pointer du doigt certaines de ses références intellectuelles plutôt que de débattre sur le fond. Dans Le Matin Dimanche (hebdomadaire romand), l’écrivain explique : « Je cite Renaud Camus à mes risques et périls. Aujourd’hui, se référer à lui est devenu très dangereux, et cela m’a valu d’ailleurs un article vengeur dans Le Monde. [...] Je refuse de me laisser intimider par le délire idéologique d’une certaine caste intellectuelle pour qui le simple fait de citer cet écrivain serait une étape qui mènerait nécessairement à Marine Le Pen et à Hitler. [...] Je lis donc Renaud Camus. Et je le lis avec profit [16]. » Les journaleux vont commencer à regretter les Veilleurs et leurs « sages lectures »…
Diabolisation à tous les étages !
Un jeune écrivain de talent, Charles Robin, qu’on a pu lire quelquefois dans Rébellion [17], a lui aussi subi récemment une cabale digne des grandes heures de la Kommandantur. Ayant contribué à un ouvrage collectif intitulé Radicalité : 20 penseurs vraiment critiques (L’Echappée, 2013), ouvrage dans lequel il a rédigé un texte présentant la pensée et l’œuvre de l’excellent Jean-Claude Michéa, il a vu son éditeur se retourner contre lui suite à une « alerte » lancée par quelques sites parmi les plus dogmatiques et intolérants de l’extrême gauche estudiantine. S’en est suivi un « appel à la vigilance » (que ces expressions peuvent sentir le flic !) dans lequel l’éditeur, tout désolé d’avoir déplu aux arbitres du bon goût idéologique, effectue un mea culpa d’anthologie et écrit : « Notre erreur a été de ne pas suffisamment nous renseigner sur Charles Robin (nous ne l’avons même pas googlisé !), et la teneur de son texte ne pouvait en rien laisser présager de ses fréquentations politiques [18]. » Ainsi, ce n’était donc même pas son texte qui posait problème mais ses fréquentations ! On ne lui pardonne pas de vendre ses livres [19] sur le site de Kontre Kulture ni d’avoir rencontré Alain de Benoist, d’avoir été interviewé dans Éléments [20] ou d’écrire dans Rébellion… Étrange époque où ceux qui se proclament intellectuels préfèrent dresser des listes noires que philosopher et lire ce qui s’écrit…
On ne saurait finir ce petit tour d’horizon de la nouvelle Inquisition sans rendre l’hommage qui lui est dû au titre de presse français le plus résolument collabo, le plus « engagé » dans sa populophobie et dans son rapport schizophrénique au pouvoir, j’ai nommé bien entendu Charlie Hebdo [21]. La ligne de cet hebdomadaire a le mérite, depuis les années Philippe Val, d’une certaine cohérence : elle se positionne systématiquement et, pourrait-on dire, pavloviquement, contre tout ce qui vient du peuple et contre tout ce qui est potentiellement dissident. Des manifs pour tous au mouvement des Bonnets rouges, toute velléité de contestation du système est passée à la moulinette de leur fiel pour en faire autant d’épouvantails propres à effrayer les bobos. Dans le numéro du 4 décembre dernier, l’éditorialiste Bernard Maris (qui n’est pourtant pas le pire de la bande, il lui arrive d’écrire des choses assez censées, notamment sur l’économie et sur la question du patriotisme populaire) crache allégrement sur les Bretons en lutte contre le gouvernement et écrit : « En Bretagne naît un social-régionalisme aigri qui commence à sentir la Ligue du Nord [22]… » On leur doit aussi, entre autres délicatesses, quelques jours après le suicide de Dominique Venner, l’image charmante de l’auteur du Siècle de 1914, rachitique et dénudé, empalé sur la pointe du toit de Notre-Dame-de-Paris… Les Antigones sont caricaturées chaque semaine dans une bande dessinée de Luz où on les présente comme des saintes nitouches catholiques courtisées par des skinheads monozygotes, et tout le reste est à l’avenant, pure expression d’un néo-conservatisme qui mêle culpabilité hargneuse d’anciens gauchistes, islamophobie progressiste (au nom des Lumières bien sûr), anticléricalisme anachronique, ultraféminisme vociférant, le tout enrobé dans un double discours bancal sur la liberté d’expression. Double discours qui les a amenés [23] à s’indigner de la réédition d’œuvres de Rebatet et à s’étrangler de rage en apprenant que des gens lisent encore Louis-Ferdinand Céline et Ernst Von Salomon et se permettent de bouder Sartre [24] !
Bien sûr, il se trouvera des godelureaux pour me dire : ainsi, vous défendez tout à la fois et sans distinction Éric Naulleau, les Antigones, les rappeurs, Alain Soral, Élisabeth Lévy et Charles Robin ? C’est un peu fort de café tout de même, quitte à faire dans le non-conformisme ayez au moins l’élégance de choisir votre chapelle ! Ah non merci, sans façon, les chapelles sont des lieux parfaits pour s’isoler mais l’atmosphère y est bien trop humide, et quant aux catacombes je me les garde pour la bonne bouche et pour les temps de clandestinité. Les idées sont de fort belles choses (il m’arrive même d’en avoir quelques unes) mais les principes sont primordiaux. La liberté d’expression n’est pas une idée, c’est un principe. Ceux qui luttent pour ce principe, ceux qui, de ce fait, ont à subir les malveillances des petits Torquemada de notre post-modernité, ceux-là sont forcément à mes yeux des gens qui valent la peine qu’on les lise. Lisez donc, chers amis, lisez jusqu’à plus soif, et songez que chaque livre en sûreté dans votre bibliothèque, ce sera toujours un de moins pour leurs autodafés !
Note de dernière minute : J’apprends, au moment d’envoyer mon article, deux événements qui, hélas, confirment ce que j’écrivais sur la tendance répressive et liberticide actuellement à l’œuvre : d’une part à Paris, la librairie Facta a été attaquée (vitres brisées et peinture rouge projetée à l’intérieur sur les livres) par des individus dont je ne sais rien mais que je serais tenté, au vu de leur attitude, de qualifier de fascistes ; par ailleurs, à Genève, deux pompiers s’étant photographiés en train d’effectuer une quenelle ont été mis à pied par leur hiérarchie suite aux délations et aux pressions d’un site communautaire. Comme quoi rien n’est jamais acquis : nos libertés sont plus chères que tout et doivent être défendues pied à pied.
David L’Epée
Source : Egalité&Réconciliation
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